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  • Photo du rédacteurChristel Engström

Pourquoi le mode de rémunération du streaming pose problème


Alors que le streaming est devenu le mode de consommation le plus populaire de musique en France en 2018, la majorité des artistes ne peuvent pas en vivre. Et même si la part reversée aux labels et maisons de disque est en baisse au fil des années, l'écoute en ligne n’apporte toujours pas de rémunération suffisante à la plupart des artistes.

Comment est réellement organisé le mode de rémunération des compagnies de streaming ?

Faudrait-il changer le calcul de ce paiement utilisé par des plateformes comme Spotify, Deezer et Apple Music afin de permettre une rémunération plus juste ?


prorata mode de rémunération injuste pour les artistes ?

 

Un modèle de rémunération qui pose souci

Lorsque qu’un artiste sort un album en CD ou vinyle, il obtient une rémunération proportionnelle aux nombres de ventes de l’album. Il touche ainsi une part prédéfinie sur chaque projet physique écoulé, peu importe son taux d’écoute ou les résultats de vente d’un autre artiste sur la même période.

Ce n’est cependant pas la même logique qui est utilisée par les plus grandes compagnies de streaming musical comme Deezer, Spotify ou Apple Music. La rémunération des artistes pour leurs écoutes digitales s’effectue au prorata. Plus concrètement, cela signifie que la plateforme d’écoute en ligne va redistribuer une part de ses bénéfices tous les mois à l’ensemble de ses artistes, sous la forme d'un pot commun.

Le seul critère pris en compte ? La popularité globale des titres sur l’application.

Ainsi, si l’artiste canadien Drake a sorti 5 titres à succès rassemblant à eux seuls 2% des écoutes sur Spotify, il touchera 2% de la somme globale payée par tous les utilisateurs de la plateforme, même si certains ne l’ont jamais écouté.


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Artistes et chansons les plus écoutées en 2018 en streaming dans le monde d'après BillBoard

Ce mode de calcul au prorata, bien qu’il puisse sembler juste, est de plus en plus critiqué, notamment par les artistes dit « de niche », touchant un public moins large. Certains acteurs de l’industrie dénoncent aussi ce modèle, en revendiquant qu’il avantage injustement les artistes très populaires réalisant des centaines de millions de streams avec quelques titres.

Ces artistes avec un public fidèle et restreint soutiennent ainsi l’adoption d’un nouveau mode de calcul opposé au prorata, et centré sur l’utilisateur (dit « user-centric »). Dans d’autres termes, si vous payez 9,99€ par mois à Deezer et n’écoutez qu’un seul artiste avec votre compte, la part de votre forfait redistribuée (autour de 7€ par mois) irait seulement dans la poche de cet artiste, et non dans un pot commun qui rémunérerait les hits d’une pop star que vous n’appréciez pas.

Une étude publiée par Digital Media Finland en Novembre 2017 a comparé les deux différents modes de calcul et leurs conséquences pour les artistes à partir de nombreuses données issues du géant du streaming Spotify.

Le résultat ? Sur un échantillon de plus de 10 000 titres et de 4400 artistes, 0,4 % des artistes ayant réalisé des chansons populaires ont récolté 9,9% de la rémunération totale. En appliquant le mode de rémunération centré sur l’utilisateur - calculé en divisant le nombre d’écoutes d’un morceau par le nombre total d’écoutes de l’utilisateur et en multipliant ce montant par le prix de l’abonnement payé par cet utilisateur - les chercheurs finlandais ont obtenu des résultats bien différents. Avec ce modèle, l’étude précise alors que cette même part composée de 0,4% des artistes, aurait été rémunérée à hauteur de 5,6% du montant global.


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Cette différence de pourcentage de 4,3% aurait ainsi pu être reversée aux 99,6 % des artistes restants, leur permettant de mieux vivre de leur musique. L’étude notamment supervisée par la Société des auteurs et compositeurs finlandais conclue sur le fait que la différence financière entre ces 2 modèles est « plutôt dramatique » et que le mode centré sur l’utilisateur favorise les artistes avec un plus petit nombre d’écoutes.

Quelques artistes populaires comme Taylor Swift, Drake ou Ed Sheeran qui bénéficient d’une importante visibilité sur les plateformes de streaming et comptabilisent la majorité des streams sont ainsi logiquement avantagés par ce calcul au prorata. En guise d’exemple, en 2016, 1% du catalogue de Deezer générait environ 98% des streams, soit 98% de la rémunération globale destinée aux artistes.

La rémunération des différents acteurs de l'industrie musicale selon l'Adami

 

Vers un mode de rémunération centré sur l’utilisateur ?

Au temps où les CD et vinyles constituaient la principale source de rémunération des artistes, le mode de calcul ne posait pas un problème majeur, étant donné que le streaming, vu comme un mode de consommation complémentaire, permettait simplement « d’arrondir les fins de mois ». Aujourd’hui, avec une majorité de pays tournée vers l’écoute en ligne au détriment de l’achat de CD et du téléchargement, de plus en plus d’acteurs remettent en question le modèle du prorata.

Mais est-ce que la situation est en voie de changer ? Pas vraiment.

Tout d’abord, très peu d’utilisateurs de plateformes de streaming connaissent ce principe de rémunération des artistes. Il existe en effet une certaine opacité autour du fonctionnement économique de ce mode d'écoute.

De plus, les compagnies comme Spotify ou Deezer sont encore en plein développement et ont pour priorité d’élargir leurs parts d’abonnés dans le monde entier. Elles ne réalisent d’ailleurs pas encore de bénéfices avec leurs activités. Un changement du mode de rémunération représenterait donc un travail colossal en termes d’études et d’algorithmes pour ces plateformes.

Il faut aussi souligner que ce mode de rémunération profite aux artistes les plus populaires, signés en maisons de disque pour une grande majorité. Les compagnies comme Universal, Warner ou Sony Music n’auraient donc aucun intérêt à exercer du lobbying pour faire changer les choses.


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Cependant, des discussions sur ce sujet avaient été entreprises courant 2017 entre la société de streaming française Deezer et la Sacem. « Nous espérons pouvoir appliquer ce nouveau mode en 2018 », commentait en Novembre 2017 Alexis de Gemini, directeur général de Deezer France.

Depuis, la société de streaming française n’a pas fait part d’information concernant l’avancement de ce nouveau mode de calcul. Seul Will Page, le directeur des sciences économiques de Spotify a pris position publiquement sur ce mode de rémunération centré sur l’utilisateur. Après des études menées sur la question, il y aurait trop de coûts à l’adoption et l’implémentation d’un tel système de calcul.

A la place du simple modèle au prorata, il faudrait en effet pouvoir suivre et calculer l’activité individuelle de millions de comptes utilisateurs rattachés à plusieurs millions de comptes artistes. En conséquence, la somme payée chaque mois par Spotify aux artistes diminuerait drastiquement suite à l’augmentation des frais informatiques et administratifs dus à la complexité de ce modèle économique.

Pour conclure, Will Page avance que l’artiste moyen (compris dans les 99,6% vus précédemment) ne gagnerait pas davantage d'argent suite aux éventuels coûts additionnels provoqués par ce mode de calcul.

L’étude menée par ce cadre de Spotify met aussi en comparaison les modèles des autres industries. Il y est par exemple indiqué qu’en payant un abonnement de sport en salle, cela inclue un « accès à toutes les machines […] pour une seule et même suscription ».

 

La rémunération au prorata devrait ainsi avoir de beaux temps devant elle...

Quant aux artistes, autant demander directement conseil à Drake pour rester en top des playlists de streaming toute l’année, et ainsi toucher un SMIC à la fin du mois.

Sources :

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